Je n’ai pas été élu pour laisser voler au supermarché”, voici la phrase à laquelle on ne peut être que d’accord de Nicolas Sarkozy aujourd’hui lorsque ce dernier a indiqué que le projet de loi réprimant le piratage des œuvres culturelles sur Internet serait définitivement adoptée par le Parlement d’ici à la fin mars. Le chef de l’Etat semble très confiant puisqu’il est certain que cette loi “aura un effet très positif sur les comportements”.

Nicolas Sarkozy a très certainement tort de faire jouer la variable “peur” parce que premièrement, son raisonnement a un peu moins de dix ans de retard (la RIAA aux Etats-Unis a tenté en vain de modifier les comportements des consommateurs par la peur) et que deuxièmement, comme dans le cas de la crise financière, il y existe beaucoup trop de “coupables” pour tenter de tous les punir. Ce qu’il est nécessaire de faire évoluer, ce n’est pas le comportement mais le système lui-même.

Cette loi s’apparente ainsi à une sorte de patch déposé sur un système totalement boiteux car beaucoup trop vieux (le CD date des années 1980, le principe de sortie massive de films tel que nous le connaissons actuellement date du premier volet du “Parrain”…). S’il est nécessaire en effet d’étudier les comportements des consommateurs (aspects liés au passé, plus rarement au présent : “comment se sont-ils comportés ou comment se comportent-ils?”), il est néanmoins crucial d’étudier les attentes de ces mêmes consommateurs (aspect lié au futur : “Qu’attendent les consommateurs ?”). Et nous pouvons en être certain, les consommateurs souhaitent des contenus audiovisuels, les audiences de sites P2P et de streaming en constituent la preuve. Ainsi, la rencontre entre offre et demande ne s’opère plus convenablement (du moins pour les producteurs) depuis qu’Internet s’est invité dans la relation producteurs / consommateurs. Seule solution pour l’Etat, miser sur la peur du gendarme.

Cependant, les raccourcis sont trompeurs et il est nécessaire d’analyser le comportement de deux types d’individus : les pirates, même si ce terme me déplait puisqu’un pirate contribue à la notoriété d’une œuvre audiovisuelle et devient en cela un co-créateur et que la notion même de pirate (“hacker” en anglais que l’on peut traduire par “bidouilleur”) provient de l’université du MIT qui incitait ses étudiants à bidouiller les ordinateurs afin d’en tester les limites et ainsi accroître leur capacité ; et les consommateurs, sachant qu’un même individu peut être les deux à la fois. Ainsi, il est illusoire de penser le monde du numérique comme un monde bi-polaire où d’un côté, se trouvent les pirates souhaitant faire sombrer les industries audiovisuelles et de l’autre, les consommateurs qui sous la contrainte du bâton adopteront les “bonnes” habitudes de consommation. Dans les faits, ces deux types d’individus se confondent.

Concernant les pirates, il est fondamental de comprendre leurs objectifs. Ces derniers visent principalement non pas à “piller” comme l’a précisé le chef de l’Etat toutes les industries (cet objectif même s’il est réel n’est en fait que secondaire) mais cherchent à relever les défis que leur imposent les systèmes de protection (les DRM en sont en très bon exemple). Il s’agit tout simplement d’un jeu et plus un organisme privé ou étatique mettra en place des protections technologiques et/ou légales, plus les pirates cherrcheront à les contourner. Concernant les consommateurs, même si les théories relatives à leur décisions (sont-elles déterminées par leur rationalité même si elle est limitée ? Sont-elles déterminées par leur émotion ?…), ces derniers sont devenus au fil du temps des consommateurs malins pouvant être qualifiés comme opportunistes et matures car ils maîtrisent désormais leur processus d’achat (grâce notamment à Internet, aux forums, blogs, sites comparatifs de prix…). Les consommateurs sont aujourd’hui (notamment en temps de crise) à la recherche du “juste prix” qui satisfera leur équation valeur / prix. Ils ne soucient ainsi guère du business models des maisons de disques ou des studios américains et se fournissent là où ils le peuvent… au moindre prix.

Dans un précédent article, j’expliquais la nécessité d’étudier non pas la valeur de production mais la valeur de stockage des contenus audiovisuels afin de fixer le prix des contenus afin que la valeur perçue soit plus ou moins égale à la valeur payée et ainsi faire se rencontrer à nouveau l’offre (légale) et la demande. Un des principaux problèmes pour les industries audiovisuelles provient donc de la technologie (capacité des disques durs) et de la mise en relation des consommateurs (Internet et réseaux P2P). Personne ne semble vouloir et surtout pouvoir arrêter cette évolution technologique et personne dans l’industrie audiovisuelle ne semble vouloir s’y adapter. Je ne donne pas cher de cette loi en termes d’efficacité ou de légitimité (l’industrie musicale est-elle par exemple réellement en crise?) et qui désignera une fois de plus comme coupable les consommateurs alors que le coupable est dans les faits l’inadaptation des industries culturelles.

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