Si Hadopi passe, on va bien se marrer quand même à détourner tout ça (SSH, tunnels, direct download…etc)”. Cette phrase publiée par Korben sur Twitter est pour moi très représentative du fossé générationnel qui s’opère actuellement entre d’une part les internautes et d’autre part, le gouvernement français qui vise actuellement à filtrer, freiner, bloquer le piratage sur Internet grâce à la loi “Création et Internet” ou “loi Hadopi”. Pour revenir aux bases, Internet est simplement un réseau entre ordinateurs. S’il était possible de bloquer le flux et l’accès à certains contenus lors d’une conversation à deux entre un émetteur et un récepteur (en faisant disparaître l’un des deux acteurs), cela est devenu totalement impossible avec le type de conversation mis en place aujourd’hui. En effet, les conversations se font désormais entre quelques milliers d’émetteurs et quelques millions/milliards de récepteurs. Cela m’intrigue ainsi de voir comment l’Etat français s’entête à prendre le contrôle de l’élément incontrôlable qu’est devenu Internet. Selon moi, cette recherche de contrôle ne va pas aider les entreprises du secteur culturel mais bien au contraire leur donner un important désavantage compétitif. Je pense en effet que cette volonté de contrôle va avoir pour conséquence l’émergence de nouveaux acteurs mieux adaptés aux évolutions comportementales des consommateurs et ainsi aboutir à la disparition des firmes inadaptées que l’Etat cherche paradoxalement à protéger. Le meilleur exemple est celui d’Apple, société extérieure au champ de la distribution musicale qui face à l’inadaptation des distributeurs “conventionnels” s’est invitée et a ainsi imposé son modèle de vente iTunes.

De plus, afin de freiner le piratage sur Internet, plusieurs solutions existent mais elles demeurent inefficaces ou inenvisageables. Première solution : bloquer l’émetteur. Mais si l’on cherche aujourd’hui, à faire disparaître un émetteur, en plus du coût (financier et en temps) que cela représente, un autre émetteur, voire deux, trois… X autres prendront sa place instantanément. Deuxième solution : appuyer sur le bouton “off” de l’Internet. Cette solution qui pourrait concrètement venir à bout du piratage par le simple fait qu’il n’existerait plus de réseau est cependant aujourd’hui totalement inenvisageable/impensable (nous n’allons pas ajouter aux crises financières et économiques, une crise technologique). Troisième et dernière solution : si l’on ne peut ni faire disparaître les émetteurs ni le réseau, il serait nécessaire de jouer la carte de la peur et de la répression envers les récepteurs ; en d’autres termes condamner les consommateurs/internautes (pour ne pas dire les plus faibles). Premier problème : il existe beaucoup trop d’internautes qui téléchargent illégalement sur Internet (plus de 450 000 films sont téléchargés illégalement par jour en France) et il est impossible de tous les punir. Il serait donc nécessaire de choisir au hasard un faible nombre de boucs émissaires. Second problème qui résulte de ce choix hasardeux : avec Internet, tout se sait, rien ne peut être caché. Si un seul des internautes/bouc émissaire venait à se faire condamner pour un acte qu’il n’est pas possible de prouver à 100%, toute la communauté web viendrait à défendre sa cause, arguant la présomption d’innocence et creusant encore un peu plus le fossé entre la loi et les comportements réels des internautes. Ce type de procès intenté à l’encontre des consommateurs et initié par la RIIA aux Etats-Unis a vu le jour au début des années 2000. Nous ne pouvons qu’en constater la très faible efficacité et l’impact négatif sur l’image des majors de l’industrie du disque.

Sans vouloir faire de la sociologie de comptoir de bar, les nouvelles générations cherchent toujours à modifier, influencer les règles établies par les générations antérieures (cf. Mai 68 et plus généralement l’adolescence) et c’est comme cela que le monde avance. Si les générations plus âgées peuvent “guider” les plus jeunes, lorsqu’il existe néanmoins un fossé aussi grand que celui qui s’opère actuellement entre les comportements de ces deux générations, l’évolution va nécessairement tourner à l’avantage des plus jeunes, ne serait-ce que par la mortalité. De plus, notre génération en plus d’être instruite (pas par TF1 mais passons), peut s’exprimer et converser car elle possède des moyens de communication très simples et très peu coûteux. S’il était contraignant auparavant de se réunir autour de causes et de revendications diverses, Internet permet aujourd’hui de créer des groupes, ou des communautés visibles au plus grand nombre sans bouger de chez soi ou de son lit (la fameuse “revolution from my bed” de John Lennon), facilitant grandement l’émergence de nouveaux comportements et nouvelles idées. Aujourd’hui, l’Etat français passe ainsi pour le père autoritaire à qui son fils devenu adolescent lui dit “t’as rien compris papa” (pour rester poli).

About Cédric Bellenger

Curious since 1980.
cedricbellenger@gmail.com
fr.linkedin.com/in/cedricbellenger